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Discussion avec Renaud Piarroux

Dernière mise à jour : 21 nov. 2022

Renaud Piarroux est chef de service à la Pitié Salpêtrière (APHP), parasitologue spécialiste des épidémies et membre de l'Institution Pierre Louis d'épidémiologie et de santé publique rattaché à l'INSERM. Il est notamment l'auteur de Choléra, Haïti 2020-2018 : histoire d'un désastre (CNRS Editions, 2019) et La vague, l'épidémie vue du terrain (CNRS Editions, 2020).


Bonjour Renaud Piarroux, et merci d'avoir accepté de passer ce temps avec nous. Pour débuter, pouvez-vous nous expliquer comment vous en êtes venu au concept One Health, et nous décrire la place qu’il prend dans vos travaux ?

Le concept OH est arrivé tout seul à moi. Je suis professeur de parasitologie, une discipline qui porte sur les parasites et les maladies qu'ils provoquent. Cela sous-entend l’étude des interrelations entre des espèces différentes.


En parasitologie, on s’intéresse en effet au cycle des parasites, que l'on ne considère pas uniquement comme des causes de maladies mais comme des êtres vivants. Par exemple, dans le cas du paludisme, on sait que son agent, le pasmodium, passe de l’être humain à l’anophèle (moustique) puis de l‘anophèle à l’être humain, donc il y une forme de cyclicité. Cette approche nous amène à nous intéresser au cycle de vie du plasmodium mais aussi des anophèles, à leur environnement et donc à avoir une vision qui relie des maladies à des interrelations entre des êtres vivants peuplant un même écosystème.


Cette façon de faire revient à étudier les maladies infectieuses à travers la relation entre l’homme, les animaux, l’environnement, mais aussi à d’autres facteurs comme le climat, la politique, la sociologie, la géopolitique…


 

Est-ce cela qu’on appelle l’éco-épidémiologie ?

Oui. Quand on s’intéresse à l’environnement, c’est de l’écologie et donc de l’éco-épidémiologie. Je pense que c'est l’ancêtre du One Health. Dès 1989, j’ai appris, en participant à une étude au Maroc, à comprendre la transmission d’une maladie en fonction des étages climatiques, des paysages... En l’occurrence, cette maladie était transmise par des sortes de moucherons qui ont des exigences particulières en termes de chaleur, d'humidité, etc. et il faut donc comprendre ces conditions pour appréhender les modalités de transmission de la maladie.


 

Au-delà de la santé des humains et des animaux, peut-on parler de santé des végétaux, voire même de santé des parasites, virus ou bactéries ?

Il faut prendre en compte la santé des écosystèmes, et pour cela, s’intéresser à la diversité des micro-organismes (et des animaux) dans un endroit donné, et à l’impact de cette biodiversité. C’est très frappant dans le cas de la maladie de Lyme, qui est très dépendante du comportement des tiques, qui dépend lui-même de la biodiversité d’une forêt. A travers cet exemple, on peut constater que la diversité des écosystèmes participe à réguler les maladies infectieuses.


Nous-mêmes, nous sommes des êtres qui hébergeons beaucoup d’autres êtres (notamment des bactéries) sur notre peau et dans notre tube digestif. Si, en prenant des antibiotiques, on appauvrit notre flore bactérienne, on facilite l’implantation de pathogènes. En somme, la santé de l’écosystème n’est pas la santé de telle ou telle bactérie, mais la santé de l’ensemble de nos compagnons microbiens. Cela peut nous protéger ou nous faire tomber malade.


 

Est-ce à dire qu’il faut apprendre à vivre avec les agents pathogènes plutôt que les éradiquer ?

Je suis un peu sceptique, au moins dans le cas des pathogènes pandémiques. Au-delà du cas du Covid, on a oublié la gravité des épidémies et pandémies d'avant la période pasteurienne. Au 17ème et 18ème siècle, la variole a ravagé l’Europe, avec un taux de mortalité de 25 à 30%, et elle a d’ailleurs tué un grand nombre de chefs d’Etat de l’époque. Il faut donc rester prudent avec cette idée du “vivre avec” : éradiquer la variole fut une bonne chose.


Dans l’élevage, la question peut également se poser, et il faut aussi être prudent compte-tenu de la faible diversité génétique des populations. C’est un contexte idéal pour propager les pathogènes, comme on peut le voir avec le cas de la grippe aviaire. Dans ce débat “vivre avec ou éradiquer”, il faut prendre en compte ces données, évaluer les risques de transmission, la gravité de la maladie… En somme, il faut peser le pour et le contre, et étudier chaque situation au cas par cas, avec beaucoup de pragmatisme. Une chose est sûre en tout cas : avec nos modes de vie actuels, il y aurait un immense risque à refaire circuler certains virus.


 

Au-delà de la question des agents pathogènes, le concept OH permet-il d’explorer d’autres liens entre santé humaine, santé animale et santé des écosystèmes ? Comme par exemple le lien entre pollution de l’air et maladies respiratoires, l'influence de la nature sur le bien-être... ?

Il existe des travaux illustrant ce point. Par exemple, il a été montré que l’asthme se développe davantage dans des milieux aseptisés. Dans les fermes d’élevage bovin au contraire, les personnes sont exposées à une grande diversité microbienne, respiratoire et alimentaire. Cette exposition est bénéfique pour la santé, particulièrement si ces milieux sont fréquentés dans l’enfance.


 

Finalement, pourquoi a-t-on besoin du concept One Health ? Pourquoi a-t-on besoin de reconnaître les interrelations entre ces différents aspects de la santé ?

On a besoin d’envisager les maladies, notre vie et notre santé d’une manière plus globale, en prenant en compte nos relations à l’environnement et aux animaux. Quand on aborde un problème précis, comme une zone de contagion de peste, il faut étudier ces interrelations, élargir nos modes de pensée.


En réalité, on doit comprendre ces relations parce qu’on est malades de ne pas le faire. L’environnement se dégrade et nous en souffrons. Parmi ces maladies, il y a certains virus comme celui du Covid mais aussi l’obésité, la perte de fertilité, les pathologies respiratoires… L’espérance de vie n’augmente plus, et il faut bien prendre en compte aussi les troubles psychologiques qui naissent de cette vie dans un environnement dénaturé.


Cette dégradation est un phénomène relativement récent à l’échelle de nos sociétés, mais des études montrent déjà que l’espérance de vie est plus faible dans les zones les plus polluées. Le cas des Etats-Unis est intéressant : la consommation d’opiacés a beaucoup participé à réduire l’espérance de vie. Et on peut retracer une origine sociétale à ce phénomène, dans le sens où ce sont les mêmes mécanismes économiques qui mènent à la dégradation de la planète et à la vente non contrôlée de ces produits. En d'autres termes, on ne peut pas traiter l’écologie sans traiter le système économique sous-jacent.


 

Pour améliorer cette santé globale justement, quelles sont les transformations prioritaires dans nos façons de vivre et de produire ?

A mon sens, la priorité est de mieux répartir les richesses et d’éviter que certains puissent acquérir des fortunes illimitées aux dépends des autres. Ce n’est qu’à partir de cet instant qu’on pourra réguler la consommation, penser des restructurations importantes, retravailler l’agriculture, etc. On ne pourra pas faire de l’écologie dans un monde aussi inégalitaire.


 

Pour une meilleure santé globale, faut-il renverser nos cosmologies et commencer à voir les animaux et les végétaux comme des êtres sociaux ?

Comprendre qu’il y a une vie autour de nous et en nous, c’est déjà une bonne chose et on peut faire passer ce message. Mais de là à en arriver à une forme de sagesse animiste (qu’il ne faut pas idéaliser par ailleurs), il y a du chemin et sans doute des chantiers plus prioritaires. Par exemple, entre ça et interdire l’accumulation sans limite de richesses, commençons plutôt par le deuxième.



Propos recueillis par Joseph Sournac et Yoan Brazy, et publiés en accord avec la personne interviewée.


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